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In mémoriam                                     
                                                                                                                                                                                 par Gérard Henry

J'ai connu Jean fin 1944, au Centre de Préparation du Personnel Navigant de Casablanca au Maroc. La guerre n'étant pas terminée. Nous avions postulé pour suivre un entrainement de pilote aux États Unis. C'est au hasard de nous trouver côte à côte à une même table pour remplir des documents administratifs, que nous devons d'avoir découvert être nés le même jour et le même mois à quatre ans d'intervalle. C'est, curieusement, cette similitude de dates qui a contribué à nous rapprocher.

Nous sommes partis aux États-Unis sur le même bateau. Nous avons suivi ensemble le même entrainement intensif. Un peu plus d'un an plus tard, après avoir reçu, toujours ensemble, nos Brevets et insignes de Pilote de l' U.S. Air Force. Nous avons été rapatriés sur le même bateau.
Jean Boulet, né à Brunoy en 1920, est entré à l'École Polytechnique en 1940 avec un certain André Turcat et ensuite à "Sup Aéro" de 1942 à 1944. Déçu par les perspectives que lui offrait l'Armée de l'air après son retour des États Unis, il quitte l'uniforme un an plus tard pour entrer à la SNCASE où il est Ingénieur Pilote, chargé de suivre les programmes et les essais des hélicoptères en cours de développement. Il retourne aux USA faire un stage de transformation au pilotage des hélicoptères et devient le 8ème breveté pilote d'hélicoptère par l'administration américaine le 23 février 1948.
Il réussit le premier décollage du SE 3101, premier hélicoptère entièrement conçu et réalisé en France.
Prêté à la SNCAN pour essayer le Nord 1710, il échappe de peu à un grave accident dans le crash de cet appareil au 11ème vol. Rappelé par la SNCASE, il obtient la qualification N° 12 de pilote d'avion à réaction en 1952. Il effectue les vols de réception des avions "Vampire" et "Mistral". Au cours de l'un de ces vols, il est obligé d'utiliser son siège éjectable et devient ainsi le premier pilote français à s'être éjecté.
Fin 1952, il choisit de rester sur appareils à décollage vertical et devient Directeur des Essais en Vol de la Division hélicoptère toute nouvellement crée. Début 1953, connaissant mes récents antécédents de pilote d'hélicoptères, il me recrute pour le seconder dans sa tâche. C'est ainsi que j'entre à la SNCASE le premier janvier 1953 et devient de ce fait un témoin privilégié de la carrière de Jean Boulet.
Il établit un premier record du monde de distance en circuit fermé sur "Alouette 1" en couvrant plus de 1252 Km en 13 h.56 de vol.
Le 12 mars 1955, il décolle pour la première fois l' "Alouette 2", premier hélicoptère à turbine au monde, avec laquelle il établit, quelque temps plus tard, un premier record d'altitude à 8 209 mètres. Les derniers jours de 1956, avec le drame de Vincendon et Henri, nous réalisons avec deux "Alouettes 2", le sauvetage d'Alexis Santini, de l'Adjudant Blanc ainsi que des guides de haute montagne suite au crash du Sikorski H 34 dans le massif du Mont Blanc.
C'est la première fois au monde que de telles opérations à de telles altitudes ont été effectuées avec des hélicoptères. Elles ouvrent d'immenses perspectives pour les hélicoptères français.

Première promo ALAT.
Ce cliché a été pris à Buc. La SNCASE qui construisait sous licence le Sikorsky S-55,
Eléphant Joyeux,

avait mis en place une école destinée à la transformation des pilotes militaires sur cet appareil.
L'école était dirigée par Jean Boulet, et Gérard Henry y était moniteur. Cette photo est celle du 1er stage.
Document Yves Le Bec

En 1958, avec une "Alouette 2" équipée du rotor et de la turbine de la future Alouette 3, il établit le record d'altitude à 10 984 mètres.
Il effectue, en 1958, le premier vol de l' "Alouette 3". En Inde, avec "l'Alouette 3" N° 002, il se pose à 6004 mètres avec deux personnes et 250 Kgs de matériel à bord.
Le 7 décembre 1962, il effectue le premier vol de l'hélicoptère lourd "Super Frelon". Il établira avec cet appareil, plusieurs records du monde de vitesse dont un à 350 Km/h.
Il effectue ensuite, les premiers vols des SA 330 "Puma", et du SA 315 B "Lama".
Avec ce dernier, le 21 juin 1972 il atteint 12 442 mètres d'altitude. Record mondial toutes catégories, toujours invaincu .
En 1975, il quitte les Essais en Vol et devient chargé de mission auprès de la direction de la Division Hélicoptère. A ce poste, il s'est attaché, en particulier, à édicter des règles de sécurité des vols dont certaines perdurent encore aujourd'hui.
Il a effectué plus de 9000 heures de vol au total dont 8000 sur hélicoptère. Il avait un don pédagogique étonnant. Il savait rendre simples des choses apparemment compliquées. On ne fait pas d'essais en vol sans risques.
Au cours des années, nous avons perdu quelques camarades. Chaque disparition a été pour lui, un drame intime. Il avait, si bien, su réaliser la cohésion de toute l'équipe des essais en vol et en particulier des quelques trente navigants, que l'on peut dire aujourd'hui, que nous formions, en quelque sorte, une grande famille. Je n'en veux pour preuve que l'assiduité avec laquelle les survivants de cette époque se relayaient chez lui, les derniers mois de sa vie, pour alléger sa solitude.
Avec le départ de Jean Boulet, une page du grand livre de la vie vient de se tourner. J'ai perdu un ami, il était aussi mon plus ancien complice et, familièrement, mon plus vieux copain.

 Dernier décollage pour le grand pilote d’essais.


Jean Boulet s’est éteint à Aix-en-Provence le 15 février, à l’âge de 90 ans. Avec lui disparaissent des pans entiers de l’histoire de l’aéronautique française, et plus particulièrement en matière de voilures tournantes. Il fit en effet l’essentiel de sa carrière au sein de la division hélicoptères de la SNCASE et, au fil des années, marqua son temps.
On se demande, aujourd’hui, ce qu’il convient d’admirer le plus : le talent exceptionnel du pilote, sa gentillesse ou sa modestie. Il avait pourtant connu très tôt les feux de la rampe, notamment en battant de nombreux records. L’un d’eux fut et reste plus mémorable que d’autres, le record du monde d’altitude en hélicoptère, 12.442 mètres, le 21 juin 1972, exploit que Jean Boulet réalisa aux commandes d’un Lama et qui n’a jamais été battu.

Sa belle carrière avait débuté à Polytechnique (promotion 1940). Et il avait écouté avec attention un exposé destiné à attirer l’attention des élèves sur les possibilités offertes par l’armée de l’Air. Exposé fait par un certain André Turcat, et apparemment très convaincant. C’est ainsi que Jean Boulet choisit cette direction et obtint son brevet de pilote de chasse, dans la filière américaine. Il aimait évoquer la découverte des Etats-Unis des années quarante, le début de l’entraînement sur Stearman PT13 et T-6 puis le grand moment du lâché sur P-47.

En février 1946, Jean Boulet rentre en France, est muté à Meknès et, aussitôt, se pose des questions sur l’avenir. Il décide alors de quitter l’uniforme pour aller vers l’industrie, envoie des candidatures spontanées, notamment à Jacques Lecarme, directeur des essais en vol de la SNCASE. Il est embauché et commence par voler sur Vampire et Mistral. Une vrille à plat de son Vampire lui vaut alors un premier titre de gloire, bien involontaire, celui d’être le premier pilote français à faire usage d’un siège éjectable.

La SNCASE, dès la fin des années quarante, s’intéresse aux hélicoptères, à un moment où leurs possibilités opérationnelles sont à peine entrevues. Vient alors un stage voilures tournantes et, peu après, un épisode de petite histoire qui aura des conséquences importantes. Le prototype SE 3101, adaptation d’un appareil Focke-Agelis, sous-motorisé, refuse de quitter le sol pour son premier décollage, de toute évidence par manque de puissance. D’où l’idée de demander au pilote désigné, Henri Stakenburg, de céder son siège à Jean Boulet …parce que celui-ci pèse 15 kg de moins que son collègue. Le premier vol peut avoir lieu, même si l’altitude atteinte se mesure en centimètres. Suivra une belle et longue carrière, marquée par la série des Alouette, Puma, Frelon, etc. > En toutes circonstances, Jean Boulet est resté profondément modeste. Et on ne l’a plus beaucoup entendu après son départ en retraite, alors qu’il était profondément respecté par ses pairs. Membre fondateur de l’Académie de l’air et de l’espace, où il avait retrouvé son ami André Turcat, il avait pris la plume, à de trop rares reprises, notamment pour rédiger une «Histoire de l’hélicoptère racontée par ses pionniers».La disparition de Jean Boulet sera durement ressentie. De plus, elle rappelle, si besoin est, qu’une génération entière de pionniers est en train de disparaître, celle d’hommes animés par une grande passion et qui, dès la fin de la Seconde Guerre mondiale et tout au long des années cinquante, ont œuvré avec une exceptionnelle conviction pour un nouveau départ de l’aviation française, nouveau départ brillamment réussi.

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