Colonel Jean Gervais
Éloge funèbre par le Général de Division (2S) Claude GERVAIS
Durant ces trop longs jours qui ont amené mon oncle au terme de sa vie si bien remplie, j’ai eu hélas tout le temps de penser à la tâche particulièrement difficile qui est aujourd’hui la mienne :
- Être à la fois l’interprète et le témoin de ce que son pays et son Armée doivent de reconnaissance au Colonel Jean Gervais… et c’est pourquoi je me présente ici en uniforme
- Mais aussi m’efforcer de vous faire partager, avec la profonde et quasi filiale affection que je lui portais, la vérité de l’homme qu’il a été.
Et puis, au fur et à mesure de ma réflexion, je me suis rendu compte d’une évidence : Les deux missions étaient indissociables, plutôt étroitement confondues, tant sa personnalité a imprégné son comportement d’officier et de chef.
Nul autre que son ancien compagnon d’armes, devenu par la suite le Général d’Armée NAVEREAU, aux très brillants états de service, n’a pu mieux le traduire, lorsqu’il y a quatre ans il remettait les insignes de Grand Officier de la Légion d’Honneur à son ancien patron du Peloton ALAT de la prestigieuse 10e Division parachutiste.
Avec sa permission, je le cite :
« Quel cadeau invraisemblable que celui d’un Chef qui a suscité en nous, en permanence, la gaîté, l’originalité, le non-conformisme ! Chef charismatique, entraîneur d’hommes, soldat téméraire, infatigable, le Capitaine Gervais nous a tellement bien commandés que nous aimions ce chef qui méritait notre dévotion et notre admiration. Dans la lettre et l’esprit de la célèbre formule, nous lui obéissions d’amitié ! »
Comment s’est forgé ce chef ? Sur tous les théâtres d’opérations pendant trente ans !
Dès le débarquement des Alliés en Algérie en 1943, il conquiert son galon d’Aspirant à l’Ecole de Cherchell, participe dans la foulée à la Campagne d’Afrique du Nord puis débarque en Provence avec la 1ère Armée de Lattre, combat lors des Campagnes de France puis d’Allemagne.
Tout de suite après, en 1947, c’est l’Indochine où il recueille rapidement la première d’une impressionnante kyrielle de citations.
Mais c’est en Juin 1949 que sa conduite héroïque, dans des circonstances qui ne sont pas sans rappeler l’épisode immortalisé par Schoendorfer dans la célébrissime « 317e section », lui vaut, au prix d’une très grave blessure, l’attribution de la Légion d’Honneur avec une magnifique citation à l’ordre de l’Armée que j’ai la fierté de vous lire :
« Magnifique officier, étonnant de dynamisme et de courage tranquille. Depuis vingt-neuf mois sur la brèche, patrouillant de jour et de nuit, participant à toutes les opérations du Secteur, ses actions de guerre ne peuvent plus être dénombrées à la tête d’une section dont il a fait une unité d’élite. S’est conduit héroïquement le 2 Juin 1949 à THANH LOÏ (Cochinchine) au cours d’un combat sévère contre des forces très supérieures en nombre et en armement. Retraitant pied à pied trois heures durant, a réussi à ramener dans nos lignes sa section durement éprouvée, avec ses morts et ses blessés. Grièvement blessé au cours de l’action d’une balle de mitrailleuse à la cuisse, tandis que la section était durement pressée par le feu violent et précis des rebelles, a fait le sacrifice de sa vie en ordonnant à ses hommes de l’abandonner sur le terrain pour éviter de nouvelles pertes. Sauvé difficilement dans un retour offensif de ses hommes, n’a consenti à se laisser emporter qu’après s’être fait donner l’assurance que les morts et les blessés de la section étaient en sécurité, ne se laissant soigner enfin que le dernier. »
Après une longue et difficile convalescence de près d’un an, conscient que le handicap de sa blessure (10 cm de fémur en moins) lui interdit désormais le crapahut dans les rizières, Jean retourne néanmoins en Indochine pour un second séjour comme observateur aérien dans ce qui n’est encore que « l’aviation légère d’observation de l’artillerie ». Deux nouvelles citations, dont une à l’ordre de l’Armée, sanctionnent 1075 h de vol opérationnel, accomplies au Tonkin, marquées entre autre par un crash en pleine brousse dont la photo est demeurée gravée dans ma mémoire de très jeune adolescent ! Quand il rentre en métropole, comme son handicap et son âge canonique (33 ans) sont estimés trop pénalisants par un Commandement pointilleux pour l’envoyer suivre la formation qu’il sollicite, il passe dans le civil et à ses frais son brevet de pilote…C’est à cette occasion qu’il me donnera mon baptême de l’air ! Fort de cette qualification, il peut rejoindre la toute nouvelle Aviation Légère de l’Armée de terre qui le désigne bientôt pour commander le Peloton Avion de la 10e Div. Parachutiste, déjà évoquée par le Gal Navereau. Il s’y distinguera particulièrement durant quatre ans du conflit algérien, en incluant une escapade en 1956 sur le Canal de Suez, et ce jusqu’en 1961. Là intervient alors un épisode qui a profondément, douloureusement marqué sa vie d’officier car c’est une nouvelle grave blessure, mais morale cette fois.
Le « politiquement correct » devrait peut-être m’inciter à le passer pudiquement sous silence, mais je crois que ce serait trahir sa mémoire et celle de ses compagnons, tant il est symptomatique de l’homme qu’était Jean Gervais, bien plus soucieux de la parole donnée et de l’honneur que du déroulement de sa carrière : Lors du putsch du 22 avril 1961, il se met spontanément à la disposition de ses frères d’armes de la 10e DP qui se sont engagés dans ce qu’ils considéraient , sans doute à tort, comme la seule façon de respecter la parole qu’on leur avait demandé de donner. Ce fut de sa part un engagement personnel car il laissa toute liberté à ses subordonnés de le suivre ou non. Son supérieur direct avait lui fort opportunément pris une permission !
Heureusement, vous le savez, ce qui aurait pu devenir un combat fratricide tourna court. Assumant toutes ses responsabilités, il rejoignit donc ses camarades aux « arrêts de forteresse », version militaire de la prison, en métropole. Je préparais alors le concours d’entrée à St Cyr et lui rendit visite sur son lieu de détention. Permettez-moi la confidence de la profonde émotion que provoqua en moi le spectacle des barrettes de décorations, aux rubans alourdis de glorieuses palmes, suspendues aux portes des cellules par leurs détenteurs !
Ce fut un de nos grands sujets de discussion, alors et par la suite, car je ne partageais pas les mêmes convictions sur l’issue du conflit. Mais jamais il ne chercha à influencer mon choix et je dois à sa mémoire de répéter encore qu’il n’y avait dans cet unique mais déchirant coup de canif à sa discipline morale de soldat vis-à-vis de l’autorité légitime, d’autre engagement que celui de l’honneur et du respect de la parole donnée. C’était pour le moins compréhensible pour cette génération d’officiers déjà traumatisée auparavant, par l’abandon sans gloire de ses volontaires vietnamiens.
Judiciairement absous car n’ayant commis aucun autre acte répréhensible que ce geste ostentatoire de fidélité à son idéal, il revint, après un passage de quelques années au purgatoire des carrières dont l’Armée, comme tous les grands Corps de l’État, a le secret, il revint donc à l’exercice du commandement, retrouvant épisodiquement au gré des mutations, sa chère ALAT, devenue largement adulte. Il devait finalement quitter le service avec le grade de Colonel en 1976.
J’espère que vous ne me tiendrez pas rigueur dans cet exercice formel et obligé du rappel des états de service d’un soldat disparu, de m’être un peu écarté de l’énumération conventionnelle des dates, des promotions et des affectations. Mais c’est le neveu qui a progressivement pris le pas sur le Général. Celui pour qui cet oncle atypique fut non seulement un exemple professionnel mais surtout l’homme au grand cœur, à l’extraordinaire appétit de vivre, jamais rassasié après être passé si près, si jeune, de la mort…Le parent proche aussi, si attaché à sa famille , reportant sur ses neveux et nièces toute l’affection qu’il n’avait pu donner au fils qu’il aurait tant aimé avoir et dont le destin l’a privé.
Mais, à y réfléchir, il en avait une, IMMENSE, de famille, en plus de celle du sang, celle de ses frères d’armes, depuis la fameuse troupe scoute de la St Dominique d’Alger jusqu’aux derniers fidèles compagnons d’aventure venus le visiter à l’hôpital la semaine dernière !
Et puisque j’en arrive à cette fin de mon témoignage, je voudrais exprimer publiquement devant vous et tous ceux là, à Christiane son épouse, aujourd’hui si éprouvée par ces dernières épuisantes semaines, la profonde reconnaissance que nous ressentons pour l’affection et le dévouement dont elle l’a entouré dans cette ultime décennie d’une vie si riche et mouvementée. Car ce fut une belle vie dont il n’a vraiment, j’en suis profondément convaincu, rien eu à regretter et ce, grâce à elle, jusqu’au dernier jour !
Adieu mon cher oncle, adieu mon Jean, adieu mon Colonel, que ce dernier vol te ramène sans encombre auprès de tous ceux ancrés dans ta mémoire, qu’ils t’aient précédé, dans le fracas d’un combat ou dans la fin plus paisible de l’âge. Il paraît qu’auprès du Seigneur on retrouve sa jeunesse éternelle, En fait toi, dans ta tête et dans ton cœur, tu ne l’avais jamais perdue et c’est pourquoi nous t’aimions tous autant !
État des services du Colonel Jean Gervais
- Novembre 1939 - S’engage dans l’Artillerie à Blida en Algérie - Admis à l’école d’Artillerie de Poitiers : EOR
- Juin 1940 - Sur ordre, retraite à cheval de Poitiers à Castres
- Août 1940 - Retourne en Algérie ; attendra de refaire l’école d’EOR à Cherchell pour être nommé Aspirant (1943) - Affecté au 14èmeGAFTA, en attente au camp du Ram Ram près de Marrakech au Maroc.
- 1944-1945 - Campagne de France et d’Allemagne.
- 1946 - Occupation en Allemagne ; suit les cours de l’école d’application de l’Artillerie à Idar-Oberstein près de Mayence pendant six mois.
- Janvier 1947 - Débarque comme volontaire en Indochine ; affecté au 10èmeRAC Cochinchine, monte plusieurs postes avec le personnel vietnamien.
- Juin 1949 - Grièvement blessé et difficilement sauvé, put être hospitalisé à l’hôpital 415 de Cholon près de Saigon pendant cinq mois ; puis rapatrié Métropole (Cannes).
- Mai 1950 - Affecté au 412ème RAA en Tunisie, commande une batterie équipée de canons 88 FLACK.
- 1951 - Réussit malgré les séquelles de sa blessure à repartir en Indochine ; affecté au Tonkin dans un EM pendant sept mois.
- Mars 1952 - Affecté comme Observateur au 23èmeGAOA à Hanoï.
- De janvier à août 1953 - Commande les éléments terre du 23èmeGAOA comme Capitaine ; rapatrié en août.
- 1954 - Commande une batterie au 405ème RAA à Hyères.
- 1955 - Suit le stage de Pilote Avions à Finthen en Allemagne.
- 1956 à 1960 - Commande le Peloton Avion de la 10èmeDP, devenu PMAH 10èmeDP ; participe à l’expédition en Egypte.
- Août 1960 - Stage de six mois Pilote Hélicoptères à Dax.
- Février 1961 - Affecté comme Commandant en Second au GALAT 3 de Chéragas en Algérie.
- Avril 1961 - Favorable au « PUTCH des GENERAUX », objet de soixante jours d’arrêts de forteresse ; puis inculpé « d’intelligence avec les directeurs d’un mouvement insurrectionnel » ; détenu deux mois à la prison de Fresnes ; bénéficie d’un « NON-LIEU ».
- Janvier 1962 - Commande le GALAT 7 à Satory ; relevé en 24 heures de son commandement en juillet pour avoir eu « des idées anti-gouvernementales ».
- De juillet 1962 à 1968 - Artillerie à Marseille + neuf mois à Valenciennes.
- De 1968 à 1973 - Prend le Commandement du Groupement 104 de l’ALAT à Toulouse, puis à Aix les Milles.
- De 1973 à 1976 - Commande le Camp de Suippes près de Chalons/Marne ; nommé Colonel en mars 1976.